Vécu de violence et reconnaissance professionnelle

Les professionnels de santé, infirmier.e.s et aide-soignant.e.s en premier lieu, connaissent un quotidien émaillé de tensions plus ou moins fortes dans leurs relations avec les usagers du système de soin.

Il faut dire que les établissements publics ont peu de moyens (fermeture de lits, manque d’effectif, manque d’effectif, manque d’effectif) pour prendre en charge des personnes qui n’en ont souvent pas davantage.

Les soignants n’ont, de fait, plus le temps de « soigner ». Ce pour quoi ils se sont engagés.

Désorganisation, manque d’information, incompréhension, agacement, impatience, frustration, colère. Et PAF, c’est le drame.

Les soignants encaissent.

Une enquête de victimation a été menée entre 2014 et 2015 dans des établissements de santé et médico-sociaux du Nord de la France.

Les enquêtes de victimation visent à appréhender la violence du point de vue des victimes. La violence y est envisagée comme une expérience : au-delà des faits, on prend en compte la manière dont les victimes les perçoivent. La violence vécue peut être physique, verbale ou psychologique.

D’après l’enquête (et étonnamment ?), 75% des professionnels interrogés (majoritairement des infirmier.e.s et des aide-soignant.e.s) estiment qu’il n’y a pas ou peu de violence dans leur service ou établissement, et 87% se sentent en sécurité sur leur lieu de travail. Par ailleurs, les enquêtés font, dans une large mesure, état de bonnes relations professionnels-usagers (89%).

Malgré un sentiment de sécurité élevé et une perception relativement faible de la violence, le niveau de victimation est élevé (la victimation est la perception d’avoir été victime ou témoin de violence) : 58,6% des enquêtés déclarent avoir été victimes de violences au moins une fois au cours de l’année écoulée, 21,8% se déclarent victimes à répétition (4 victimations ou plus).

L’étude ne relève d’ailleurs pas de corrélation statistique significative entre victimation et qualité des relations avec les usagers.

Fait intéressant, l’étude révèle en revanche que la victimation est très significativement corrélée au sentiment de manque de considération professionnelle.

Ce sentiment de manque de considération professionnelle est associé au manque de moyens (financiers, matériels et humains) pour « bien travailler », à savoir, pour développer le soin relationnel.

L’étude indique également une corrélation très significative entre le type de suites données à l’affaire en cas de violence et le degré de satisfaction professionnelle exprimé par les enquêtés :

Lorsqu’aucune suite n’a été donnée à l’affaire, les professionnels déclarent une forte expression émotionnelle (mal-être, sentiment de frustration, déception, lassitude, démotivation, anxiété, épuisement) et font état de sentiments qui s’accompagnent d’un retrait du travail (du désinvestissement jusqu’à l’arrêt de travail).

A l’inverse, le soutien de la hiérarchie (réunion de service, réflexion sur les pratiques et l’organisation du travail, accompagnement dans le dépôt de plainte, suivi de la prise en charge médicale ou administrative du patient-auteur des faits) pèse très favorablement sur le sentiment de satisfaction professionnelle des soignants.

Lorsque les professionnels se déclarent victimes de violence, ils en parlent à leurs collègues (78%) et à leur institution (63 %). Mais aucune suite n’est donnée dans 40 % des cas.

Ce qu’il faut retenir de l’étude de victimation :

  • Moins les professionnels se sentent considérés dans leur métier, plus ils se sentent « victimes » lorsque la violence surgit et qu’il faut la gérer.

  • L’absence de soutien de la hiérarchie dans la prise en charge d’évènements vécus comme violents a un effet délétère sur le moral des soignants.

  • A l’inverse, le soutien de la hiérarchie permet de reconnaître la dureté et la réalité du métier, et c’est chose fondamentale.

Gérer au quotidien des tensions et des situations difficiles - qu’elles soient liées à la pathologie du patient ou à son impatience – alors que tout le monde s’en fout, ça use. Faire preuve d’empathie au niveau institutionnel, de manière proactive, pourrait être une piste (plutôt économique) à creuser.

Pour être intervenue quelques fois auprès de professionnels du secteur médico-social confrontés à la violence, je confirme : les professionnels attendent de leur hiérarchie qu’elle les soutienne, à tout le moins qu’elle reconnaisse la réalité de leur vécu.

https://www.cairn.info/revue-le-sociographe-2016-4-page-25.htm

** https://www.cairn.info/revue-deviance-et-societe-2017-3-page-447.htm

Précédent
Précédent

Penser la violence comme un objet

Suivant
Suivant

Droit au but