Jouer aux échecs avec un enfant de 4 ans ?

Jouer aux échecs avec un enfant de 4 ans n’est pas une mince affaire. Si l’enfant est disposé à apprendre et à jouer selon les règles, tout va bien. Mais s’il n’en fait qu’à sa tête, déplace les pions n’importe comment ou les lance à travers la pièce, il y a de fortes chances qu’il arrive à bout de notre patience (sauf à lancer les pions plus fort que lui).

Difficile de lui en vouloir s’il n’a que 4 ans…

Nous sommes tous amenés à côtoyer - de près ou de loin - des adultes qui se comportent de manière semblable dans la vie réelle. Des personnes dont on dit qu’elles sont « compliquées à gérer ». Elles agissent suivant leurs propres règles - imprévisibles et sans logique apparente - et vous balancent le plateau à la gueule si elles perçoivent que la maîtrise du jeu leur échappe. 

Avec ces personnes, tout échange peut tourner à d’âpres négociations, toute décision résulter de tactiques mûrement étudiées, au final bien souvent déjouées au nom d’une mauvaise foi crasse. Je ne l’avais pas vu venir celle-là…

C’est épuisant, frustrant, non constructif. 

Ces personnes ont-elles pour objectif de nous mettre en échec ? Pas nécessairement. 

Jouons-nous au même jeu ? Là est la question.

Selon l’approche psychodynamique, l’être humain développe au fil du temps des mécanismes de défense psychiques pour gérer ses conflits internes ou externes. Ces mécanismes visent à « réduire ou annuler les effets désagréables des dangers réels ou imaginaires » (S. Ionescu & al.,1997). En gros, ce sont des processus inconscients qui se déclenchent dans une situation stressante, pour réduire l’angoisse ou restaurer l’estime de soi. 

En soi, les mécanismes de défense font partie intégrante du développement psychique. Ils permettent de maintenir une certaine cohérence psychique au gré des circonstances de la vie, et constituent de la sorte une réponse adaptative au sens perçu des évènements (et non aux évènements eux-mêmes).

Il en existe plus de 40 répertoriés à ce jour. Je citerai en exemples le refoulement, le déni, la régression, l’humour ou encore les réactions passives-agressives, pour les plus populaires.  

Les mécanismes de défense peuvent être hiérarchisés en fonction de leur degré de maturité : des plus « matures-adaptés », aux plus « immatures-inadaptés » (Vaillant, 1994*). 

Les défenses les plus matures (telles que l’anticipation, la sublimation, l’humour ou l’altruisme) constituent les réponses les plus adaptées pour faire face aux contraintes du réel, et n’altèrent généralement pas la conscience de soi (Rui & Stuart, 2013). 

Les mécanismes de défense immatures**, quant à eux, « suppriment le conflit émotionnel en déformant la conscience des événements psychologiques désagréables » (Rui & Stuart, 2013). La difficulté avec ces mécanismes, c’est qu’ils sont dans de nombreuses situations inadaptatifs : s’ils permettent à la personne de se protéger de l’anxiété, c’est au prix d’une certaine distorsion de la réalité, trop douloureuse à affronter…sans filtre, si je puis dire. 

Pour tout un tas de raisons, chez certaines personnes d’âge adulte, le développement des mécanismes défensifs a été entravé et n’a pas atteint le stade de la « maturité ». Ces personnes ont alors principalement accès à un style de défenses immature (voire pour certains à un style de défenses archaïque, mais je n’aborderai pas ce sujet ici) ***.

Ainsi, pour répondre à notre question initiale, si la personne a un fonctionnement défensif immature (alors que de votre côté, vous versez plutôt dans la tendance « névrotico-adapté »), il est clair que non, vous ne jouez pas au même jeu. 

Attendre de l’autre qu’il se place dans un rapport au réel auquel il lui est difficile de faire face, faute de moyens, est peine perdue. 

Aussi est-il préférable, en connaissance de cause, de réfléchir à une autre stratégie. 

* 1. défenses matures  ; 2. défenses névrotiques ; 3. défenses immatures; 4. défenses psychotiques et pathologiques (archaïques ou primitives).

**Parmi les défenses immatures figurent, entre autres : le passage à l’acte, l’agressivité passive, l’hypocondrie, la somatisation, le clivage, l’identification projective, la projection, le déni, l’idéalisation, la dévalorisation, ou encore l’omnipotence. 

***Pour schématiser, il y a, selon la perspective psychodynamique, trois catégories de structure de personnalité : organisation psychotique, névrotique ou limite. Chaque catégorie a ses propres angoisses, modes de relation et mécanismes de défenses privilégiés. Les personnes ayant une structure psychotique ont recours à un style défensif archaïque, les personnes avec une organisation limite utilisent un style défensif immature, tandis que les personnes ayant une structure névrotique privilégient un style défensif plus mature. Toutefois les névrosés utilisent des défenses immatures dans certaines circonstances, par exemple pour maintenir une bonne image de soi ou pour faire face à un stress trop important. 

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