Du bon usage du chantage
Le chantage se définit comme un « abus de pouvoir utilisant la menace ou l'intimidation pour contraindre autrui à agir contre sa volonté » (https://www.cnrtl.fr/definition/chantage).
Les conditions pour qu’il y ait chantage sont donc :
Un abus de pouvoir
Une menace ou une intimidation
Une contrainte sur autrui à agir contre sa volonté
Si on adapte la définition au cas particulier du chantage dans le cadre de l’exercice de l’activité parentale, ça donne : « faculté parentale utilisant la menace pour contraindre son enfant à agir contre sa volonté mais pour son bien ».
Lorsqu’on parle de menace parentale, il faut apporter quelques précisions :
Elle est rarement mise à exécution
Elle peut être formulée sous forme de promesse
Elle est la plupart du temps la solution la plus convenable pour arriver à un compromisacceptable
Car c’est chose importante : le chantage parental dont nous entendons faire la promotion procure généralement un bénéfice, pour le parent ET pour l’enfant. Notre visée étant exclusivement pragmatique, nous exclurons de facto toute référence à l’intimidation (qui ressort de l’autoritarisme parental) et au chantage affectif (qui relève de la catégorie distincte des névroses parentales). Nous aurons par ailleurs recours au concept assumé de manipulation, mais nous verrons que celle-ci ne se situe pas où on l’attend.
Vous avez dit manipulation ?
Il ne faut pas prendre nos charmantes têtes brunes pour des anges. Et surtout pas pour des idiots. Malgré les apparences, les enfants sont des êtres rusés, sournois et manipulateurs. Ils ne se privent pas de nous faire tourner en bourrique et de n’écouter que quand ça leur chante, usant de séduction de manière éhontée pour arriver à leurs fins, piquant des colères quand ça ne marche pas.
En jouant de la manipulation pour contrecarrer les manœuvres de l’enfant, le chantage parental amène celui-ci à prendre conscience que les relations humaines sont faites de jeux de pouvoir et d’enjeux stratégiques. Par la nécessaire part d’autorité que lui confère son sens unique (parent -> enfant), il permet également l’économie de discussions contreproductives. Que celui qui n’a jamais tenté d’obtenir quelque chose d’un enfant en expliquant calmement les choses, pour finir par lui hurler dessus comme un putois me jette la première pierre !
Prenons l’éducation bienveillante. Elle voudrait que les enfants se mettent en mouvement par eux-mêmes pour se brosser les dents, dire bonjour à la dame qui sent pas bon, ou ranger sa chambre. Les adeptes de l’éducation bienveillante bannissent l’utilisation du chantage, parce qu’il empêcherait l’enfant de prendre ses responsabilités et de devenir acteur de sa propre vie. Entre autres, ils proposent de remplacer la structure conditionnelle “si… alors…” typique du chantage par “dès que… nous pourrons…”.
Par exemple, je cite*:
“Dès que tu auras rangé tes jouets, nous pourrons aller au parc” est plus efficace que “Si tu ranges tes jouets, nous irons au parc”. L’approche “dès que... on…” implique que le choix d’aller au parc n’est pas vraiment un enjeu pour nous. Le ton utilisé lors de la formulation doit indiquer que l’adulte n’interviendra pas tant que la condition n’est pas remplie. L’enfant fera ainsi l’expérience des conséquences de ses choix. A l’enfant de s’acquitter de sa responsabilité s’il a vraiment envie d’y aller.
Finalement, quelle que soit la tournure choisie ça ne change rien, l’enfant ira au parc après avoir rangé sa chambre. Mais entre nous, l’enfant ne rangera-t-il pas plus rapidement sa chambre si on le menace de ne pas aller au parc ? La proposition “si tu fais ça… alors…” contient la promesse d’une récompense immédiate, un coup de pied au cul de l’action. Elle mobilise la motivation extrinsèque (la carotte du parc, des bonbons, de l’écran),objectivement beaucoup plus efficace (et réaliste) que d’attendre illusoirement que lamotivation intrinsèque de l’enfant (la conscience morale que ranger sa chambre, c’est bien) s’active toute seule.
Le chantage parental “façon bon sens paysan” offre ainsi une porte de sortie honorable dans les situations de cul-de-sac éducatif, sans être moins bienveillant que l’éducation du même nom. Parler de “chantage bienveillant” nous aiderait d’ailleurs peut-être à sortir de l’éternelle culpabilité parentale.
Du chantage à la négociation
Le chantage est-il immoral ?
Pour les éducateurs bienveillants, “certains enfants en viennent à mal se conduire de façon intentionnelle afin d’obtenir une rémunération pour leur bonne conduite**”. Je ne suis pas tout à fait d’accord. Au sein de la cellule familiale, la promesse d’une monnaie d’échange pour “service” rendu permet au contraire d’amorcer à bien des égards l’apprentissage des bases de la vie en société. Si je demande à mon fils, n’importe lequel, de laver ma voiture, il dira tout de go : “je ne suis pas ton esclave maman !”. Si je lui dis “lave ma voiture stp”, il me fera la gueule, trainera des pieds, et le résultat ne sera ni fait ni à faire. Si en revanche je lui propose quelques piécettes, je pourrais espérer de l’enthousiasme et du bon boulot.
Tout travail ne mérite-t-il pas salaire ? Non, en effet. Je suis, pour ma part, rarement rémunérée pour leur faire la bouffe ou laver leurs chaussettes. Mais pour leur mettre le pied à l’étrier ça aide. À faire une première fois ce qu’ils n’auraient jamais fait d’eux-mêmes, en petits anges qu’ils ne sont pas. Ça peut même laisser un souvenir sympa du truc, qu’ils voudront bien refaire par la suite, contre rémunération ou non.
Quand mes garçons étaient plus petits, ils n’aimaient pas les légumes. Nous avons donc mis en place le système des points légumes®. Le principe est simple : ils obtenaient des points, en fonction de la difficulté et de la quantité de végétaux ingérés au cours d’un repas (par exemple : 1 point pour 3 bouts de carottes ; 6 points pour 1/2 chou de Bruxelles ; les patates ça compte pas). Le but étant d’obtenir 10 points. Une fois arrivé à 10 on recommence, avec quelques fois un bonbon pour le premier arrivé, et un bonbon pour le suivant aussi. Depuis, ils mangent (pour des enfants) pas mal de verdure, même si les choux de Bruxelles ça reste compliqué.
Le système a été décliné au fil du temps. Aujourd’hui, à chaque gros mot que je profère, mes rats de labo bénéficient de 5 minutes de temps d’écran supplémentaire. A l’inverse, ils ont 5 minutes en moins s’ils sont les auteurs du forfait. Cette règle a été mise en place à leur initiative, et le pire c’est qu’elle fonctionne. Elle a été étendue (toujours à leur initiative, allez comprendre) au brossage de dents. Mes enfants ont donc les dents qui brillent et ne disent jamais de gros mots… des enfants parfaits en somme…
Le chantage, c’est donnant-donnant finalement.
Mais attention, on ne parle pas que de promesse de récompense. La promesse de punition porte aussi son lot de vertus, en ce qu’elle avertit l’enfant de la conséquence de ses actes, et permet (tout de même) de marquer le coup et/ou de poser des limites. Il n’est pas raisonnable de penser qu’un enfant puisse prendre conscience par lui-même de la valeur intrinsèque d’une action qu’on aimerait qu’il effectue de lui-même, en se remettant à son sens moral et à son intelligence. Parce que justement, je le répète, l’enfant n’est pas con : c’est chiant de ranger sa chambre… et il ne doit porter de responsabilités que celles qu’on lui donne, parce que c’est un enfant. L’exigence illusoire d’auto-responsabilisation risque au contraire, en cas d’échec, de se faire le nid d’une grande culpabilité…enfantine ET parentale.
S’il est pratiqué depuis le plus jeune âge au sein de la microsociété domestique, le chantage parental présente ainsi de nombreux bénéfices sur le long terme : il invite à la curiosité (forcée au départ, j’en conviens), il initie à l’art subtil de la négociation et du compromis, il apprend la gestion des gains, et permet l’expérience empirique du processus “action – réaction” contenu dans une proposition telle que “si tu fais ça je t’en mets une !” (Au sens figuré bien sûr) (quoique…). Il peut même affuter l’esprit critique pour distinguer le chantage bienveillant du chantage affectif, totalement intéressé celui-là. Bref, il prépare au monde imparfait des adultes. Sans être une fin en soi, le chantage se révèle un outil efficace pour guider nos chérubins sur le long chemin qui mène à l’autonomie.
Et le chemin est rude…
Sérieusement, est-ce que vous imaginez votre patron vous dire : « Quand vous aurez fini ce gros projet Madame Michu, alors je vous donnerai un super bonus » ?
*https://apprendreaeduquer.fr/supprimer-les-leducation-enfants/
**Ibid.